Discours de Laurent Personne

Résumé du discours de réception de Monsieur Laurent Personne à l’Académie du Berry, le samedi 23 Avril 2005, intitulé : « L’espace francophone »

 

La Francophonie est le rayonnement et l’influence de notre pays, des Etats francophones dans le monde : cela dépasse l’avenir seul de la langue. Au seuil du XXI ème siècle, le monde ne peut plus s’organiser sereinement dans le cadre de l’hégémonie des Etats-Unis. La France ne doit surtout pas  devenir une puissance moyenne, il faut maintenir son rayonnement intellectuel, d’où l’importance de la Francophonie. Si celle-ci  est devenue une réalité géographique universelle et institutionnelle, son avenir réside dans sa constitution en un espace politique que la France se doit d’encourager. Le géographe Onésime Reclus aurait élaboré ce terme à la fin du XIXème siècle pour désigner les personnes et les pays utilisant le français à des titres divers. La deuxième moitié du XX ème siècle a vu s’organiser la Francophonie à l’initiative d’associations et d’ONG plus que d’Etats. En 1970, la Convention  de Niamey a  créé l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) à ce jour la seule organisation intergouvernementale de la Francophonie sous le nom actuel d’Agence Intergouvernementale de la Francophonie (A.I.F). Il faut aussi mentionner la chaîne francophone TV5 reçue à peu près partout dans le Monde, l’Université Senghor à Alexandrie d’Egypte créée en 1989 et l’AIMF, l’Association des Maires francophones.

Au cours  des années 1980 une prise de conscience importante s’est faite devant les menaces multiples qui planent sur le français, langue universelle qui semble pourtant  devoir être exclue des domaines d’activité en pleine évolution comme l’informatique, le monde des affaires ou encore la finance. D’où au milieu des années 1980, trois initiatives importantes pour relancer l’idée francophone :

      Il y a d’abord la constitution d’un organe consultatif placé auprès du Président de la République : le Haut Conseil de la Francophonie établi  en 1984 et composé d’éminentes  personnalités  francophones.

      La Francophonie est constituée en portefeuille ministériel en 1986, initiative  malheureusement abandonnée par le Premier Ministre Lionel Jospin ;

      Enfin, et au plan multilatéral en 1986 à l’initiative du Président François Mitterrand sont réunis pour la première fois à Paris les chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage. De tels sommets reconduits tous les deux ans sont l’institution majeure de la Francophonie. Le dixième sommet s’est tenu à Ouagadougou en décembre 2004.

La Francophonie est présente sur les cinq continents, l’Afrique en étant la base avec 29 pays ; mais remarquons que l’aire francophone dépasse largement celle de l’ancien empire colonial français, d’où la double caractéristique de cette communauté : hétérogénéité et complémentarité.

Hétérogène, oui, elle l’est cette communauté qui réunit en son sein des Etats parmi les plus pauvres avec d’autres comme le Canada et la France ; il est évident que la Francophonie n’est pas la même en Egypte qu’au Québec ou en Tunisie :

Complémentarité, oui, car la Francophonie est  un des seuls sous-ensembles interétatiques où la coopération peut s’organiser sur une base commune, la langue, bien plus fortement que dans la communauté qu’on lui compare naturellement, le Commonwealth.

De nos jours, que représente la Francophonie dans le Monde ?

Retenons le nombre de 200 millions de francophones, le français n’étant  qu’en 9 ème position parmi les grandes langues du monde, bien loin derrière l’anglais. Par contre , la position du français apparaît beaucoup plus forte si l’on considère que depuis le sommet de Ouagadougou, 51 pays représentant environ 500 millions d’habitants ont manifesté leur volonté de se joindre à la Francophonie. Il convient d’y ajouter les 30 millions d’Algériens francophones mais hors francophonie institutionnelle.

Le sommet de Cotonou de décembre 1995 a entrepris de hiérarchiser les domaines dans lesquels le mouvement francophone doit intervenir :

-        Le premier est intitulé : « Un espace de savoir et de progrès » ; il s’agit de donner la priorité à l’enseignement, en favorisant la formation des enseignants et la mise à disposition des outils didactiques ;

-        Le deuxième programme concerne la culture et la communication : il faut voir ici toutes les actions relatives au soutien et à la diffusion des oeuvres d’art. L’audiovisuel est en effet  un des enjeux majeurs.

-        Le troisième thème est constitué par la Francophonie comme espace de liberté  et de démocratie. Il regroupe l’ensemble des actions entreprises en vue de la consolidation et de l’affirmation de l’état de droit.

-        Enfin, le dernier programme mobilisateur regroupe les actions consacrées au développement du français comme langue des sciences et des techniques. Il vise à renforcer la place du français dans les organisations internationales.

Pourquoi la France institutionnelle  porte- t- elle si peu d’empressement et d’attention à la Francophonie ?

Est-ce parce que on lie les attributs  de la puissance française à l’arme nucléaire, au siège permanent aux Nations-Unies et au droit de veto ?

Est-ce parce que les promoteurs de la Francophonie furent d’abord d’éminentes personnalités du Sud, comme le Président Senghor, Hamani Diori, Habib Bourguiba ou le libanais Charles Hélou, la France ayant plus suivi le mouvement que poussé à sa mise en œuvre ?

Est-ce parce que on voit dans la Francophonie un prolongement d’un lien colonial que l’on voudrait oublier ou une filiation trop grande avec la communauté voulue par  le Général de Gaulle en 1958 ?

Toujours est - il que dépenser seulement 50 millions d’euros par an pour défendre la Francophonie stricto sensu est dérisoire ,nettement insuffisant, comparés aux   budgets de la Direction générale de la Coopération Internationale et du Développement du Ministère des Affaires Etrangères ou au budget d’intervention du Ministère de la Coopération.

Et pourtant, nombreux sont les exemples où la Francophonie a joué un rôle politique majeur : citons, par exemple, les négociations du GATT, le vote de la résolution sur les essais nucléaires aux Nations-Unies où les Etats francophones ont montré un comportement admirable de solidarité et d’amitié. La Francophonie permet aussi des démarches de coordination ou d’échanges de vue sur des  sujets les plus divers,  tels que la défense de l’environnement, le droit des femmes ou les problèmes d’alimentation.

Pour que la Francophonie se développe et donne sa pleine mesure, il est nécessaire que tous souhaitent la renforcer , en particulier la France elle-même ; elle pourrait être un élément moteur du refus de l’uniformisation culturelle, une alternative dynamique au rouleau compresseur du modèle marchand anglo-américain.

Ardent défenseur de la Francophonie, M. Laurent Personne conclut son brillant exposé en remarquant :

«  La langue française a toujours été  un élément prépondérant de la puissance française. De tout temps, elle a été perçue comme la langue de la liberté, la langue de l’indépendance, la langue du progrès. C’est par elle que la France a séduit, que la France a fait rêver les peuples, plus que tout autre nation. Ses combats n’ont pas toujours été couronnés de succès, ils ont toujours été salués. Aujourd’hui elle reste une langue subversive, une langue d’espoir, la langue des faibles des opprimés.

Ce que la France pouvait seule accomplir au cours des siècles précédents, elle ne le perpétuera qu’avec l’appui des peuples et des nations qui partagent cette langue et ses idéaux ».

L’Académie du Berry remercie vivement M. Laurent Personne, Directeur du cabinet du Secrétaire perpétuel de l’Académie française Madame Hélène Carrère d’Encausse d’avoir synthétisé pour notre Bulletin son remarquable et si riche discours sur un sujet qui lui tient à cœur : la défense de la langue française.   

 
Dernière modification : 15/08/2012
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