Discours de réception de Mme L. Gerbaud

ACADEMIE DU BERRY

SEANCE SOLENNELLE DE PRINTEMPS


Château de Valençay

Samedi13 avril 2013


Discours de réception de Madame Lydie Gerbaud



Votre invitation me touche infiniment, pour de multiples raisons et plus particulièrement en souvenir de l’attachement que François Gerbaud portait à l’Académie du Berry et à son Président, cher Alain. Je n’ai pas son talent d’orateur, sa facilité d’expression, son humour que vous avez tous apprécié et je le regrette. Cependant, le sujet de mon intervention m’a permis de revivre en détails la partie la plus importante de mon activité professionnelle : celle d’attachée de presse auprès d’un homme politique de premier plan, Jacques Chirac, de 1975 à 1995. Avant d’aborder des souvenirs plus précis d’évènements auxquels j’ai modestement participé, je pense qu’il me faut bien préciser la définition de cette fonction et des conditions dans lesquelles elle peut être exercée de façon correcte et motivée en toutes circonstances, en respectant un certain nombre de principes.

Il existe bien sûr des formations universitaires et une très bonne école l’EFAP pour apprendre ce métier, mais dans ce domaine aussi particulier que le monde politique, il faut compléter la formation par une « immersion totale » sur le terrain. Trois principes de bases s’imposent pour exercer  efficacement le métier d’attaché de presse politique.

Les principes, je les définirai de la façon suivante :


1.    Obtenir la confiance totale de la personne pour laquelle vous travaillez, bien connaître son parcours politique,ses qualités de communicant, ses motivations, son programme et l’informer en permanence de l’actualité (revues de presse écrite, radio et TV quotidiennes) organiser ses déplacements pendant les campagnes et « prévoir les points presse » ou les « directs » sur les télévisions ou les radios au bon moment.


2.    Acquérir une connaissance approfondie des média, nationaux et régionaux, de leur fonctionnement et de leur poids dans l’opinion publique, établir des relations de confiance avec les journalistes politiques et les éditorialistes, leur permettre de rencontrer « l’homme politique » et de l’accompagner en déplacement, ne jamais laisser un appel de journalistes  sans réponse : en conclusion, établir là encore une relation de confiance réciproque.


3.    Suivre en permanence l’actualité nationale, régionale et internationale de façon à pouvoir intervenir si nécessaire selon l’importance des évènements et gérer les urgences 24 heures sur 24. Bien sûr, informer celui pour lequel vous travaillez en priorité.

Ces principes ont été pour moi le base de mon expérience professionnelle, mais je dois bien sûr rappeler que les circonstances et les aléas de la vie m’ont permis de bénéficier d’un environnement personnel très favorable, puisque mon époux François Gerbaud était déjà journaliste à 23 ans à la Nouvelle République lors de notre mariage. Un accident l’a immobilisé pendant une année, au cours de laquelle le rédacteur en chef m’a proposé de le remplacer à la rédaction de Châteauroux. Une fois rétabli physiquement, François Gerbaud a repris son poste, avant d’être intégré en 1954 dans l’équipe qui a créé Europe n°1, une nouvelle radio indépendante dont l’antenne se situait en Sarre et qui constituait à cette époque une révolution dansle monde de la radio ( accès des journalistes en direct à l’antenne pour les reportages, remplaçant de ce fait les « speakers » de l’ORTF etc…) .En 1962 il fit ensuite partie de l’équipe du journal télévisé, qu’il dirigea en tant que chef des informations et présentateur du 20 heures jusqu’en janvier1967, date à laquelle il décida de revenir dans son département pour se présenter aux législatives.

Parallèlement, j’ai eula chance, dès notre arrivée à Paris, de 1955 à 1966, d’exercer mon métier en anglais, en tant qu’attachée de presse au quartier général de U.S. Air Force en France, à deux pas des studios d’Europe 1, rue François 1er. Ce fut une formation insolite mais passionnante car elle m’a permis de connaître et d’entretenir des relations avec tous les correspondants étrangers dans la capitale ainsi qu’avec la presse française nationale et régionale et d’organiser des reportages dans les bases américaines en France et en Allemagne (Berlin Airlift par couloirs aériens réservés).

En mars  1967 François Gerbaud est élu député Gaulliste (avec 19 voix d’avance) et bat Louis Déchizeaux et je deviens son attachée parlementaire (non rétribuée !!). Je rappelle à ce propos que le Général de Gaulle ayant décidé le retrait des bases américaines en France en décembre 1966, Châteauroux se retrouva avec près de 2000 personnes sans emplois.

C’est de cette période que date ma première rencontre avec Jacques Chirac, élu  en Corrèze lui aussi en 1967 et nommé Secrétaire d’Etat à l’emploi, lors d’une visite à Châteauroux et auquel François Gerbaud s’était adressé pour obtenir des soutiens financiers pour l’installation d’une zone industrielle au Forum et l’arrivée de la première entreprise : Sovirel.


Mon expérience avecJacques Chirac de 1975 à 1995

Ce fut une période extraordinaire, jalonnée d’évènements qui font partie maintenant de notre histoire et durant lesquels j’ai dû exercer ce métier à temps complet bien sûr et dans des circonstances parfois très difficiles. Je citerai trois exemples :

1.    L’élection du premier Maire de Paris,Jacques Chirac en mars 1977.

2.    La 1ère cohabitation (F.Mitterrand, Président, Jacques Chirac, Premier Ministre) de mars 1986 à mai1988 (attentats, otages etc…)

3.    La campagne présidentielle de 1993 à1995, date de l’élection de Jacques Chirac à la Présidence de la République.


I – Election du premier Maire de Paris (mars 1977).

Les dates :25 août 1976 – J.Chirac, Premier Ministre de Valérie Giscard d’Estaing depuis1974 donne sa démission au Président – il se fait réélire député de Corrèze le 14 novembre 1976. Elu Président du R.P.R., mouvement lancé le 5 décembre 1976 àla Porte de Versailles en présence de 50 000 personnes. (Je l’ai rejoint en 1975, après avoir créé le 1er service de presse du R.P.R).

« Le temps de la conquête est arrivé » disent les journalistes.

Les élections municipales sont prévues en mars 1977. La loi P.L.M. implique les élections de trois maires à Paris, Lyon et Marseille.Jacques Chirac décide de se présenter à Paris, ville dirigée à cette époque par un Président de Conseil municipal.

Cette décision restée secrète, est annoncée à la Presse le 19 janvier 1977 en direct à la télévision au cours du 20 heures présenté par Patrice Duhamel et créé un « séisme politique » (expression utilisée par les journalistes). J’ai personnellement gardé un souvenir particulièrement émouvant de cette annonce que j’ai organisée dans le plus grand secret, avec des journalistes pour la plupart incrédules, mais qui a très vite mobilisé l’opinion publique.

La campagne fut un modèle de proximité, tel que Jacques Chirac le souhaitait – visite de tous les arrondissements, recherche des contacts personnels avec les parisiens, engagements sur un certain nombre de projets ; Jacques Chirac séduisait non par des discours, mais par sa personnalité et sa capacité à conquérir. Il enchainait les parcours de quartier, de 8 heures le matin à 20 heures chaque soir avant de faire des réunions publiques. Il est élu à Paris le 22 mars 1977 et en 1983 il gagne tous les arrondissements parisiens.


II – Première Cohabitation – Matignon 1986 - 1988.

Mars 1986 – La droiter emporte les élections législatives – F. Mitterrand, Président nomme Jacques Chirac Premier Ministre, une première dans la vie politique – toutes les règles bouleversées. Il faut créer de nouvelles relations. La situation extérieure y contraindra ces deux hommes politiques de premier plan.

Les attentats

Charles Pasqua es tMinistre de l’Intérieur.

Denis Beaudoin, ancien conseiller personnel du Président Pompidou, rejoint le Premier Ministre et Jacques Chirac me confie la direction du Service de presse de Matignon. Un certain nombre de décisions sont prises pour organiser un fonctionnement coordonné, notamment, et c’est une « première », organiser le compte rendu du Conseil des Ministres à Matignon et non pas à l’Elysée, Alain Jupé en devient le porte-parole. Par ailleurs, le Premier Ministre accompagne le Président régulièrement dans les réunions internationales, tel le sommet du G 7 à Tokyo dès son arrivée en mars 1986. Toutefois les souvenirs les plus marquants furent bien sûr les attentats dans Paris (13attentats de février 1985 à septembre 1986) (13 morts, 500 blessés) le dernier, rue de Rennes fit 7 morts et 55 blessés. Ces attentats étaient revendiqués par le Hezbollah qui réclamait la libération de trois chefs terroristes emprisonnésen France.

Les otages au Liban

Dès 1985 il y avait eu les premiers enlèvements à Beyrouth de deux diplomates (Carton et Fontaine) et de Jean-Paul Kaufman, journaliste, du chercheur Michel Seurat qui mourra en captivité en mars 1986. Ce fut ensuite une équipe de France 2 en reportage (Rochat, Hansen, Cornéa et Normandin), puis Roger Auque en janvier 1987. Les négociations menées par l’équipe du Premier Ministre aboutiront à la libération de onze otages en deux ans. Les trois derniers furent libérés le jeudi 5 mai1988 entre les deux tours de la présidentielle alors que j’étais de garde à Matignon : cette nuit-là et j’ai pu annoncer officiellement leur libération, en connexion  avec le Ministre de l’Intérieur, à 6 heures du matin à toutes les agences de presse, un souvenir inoubliable…

Cette expérience à Matignon est probablement celle qui m’a le plus marquée  sur le plan professionnel et qui m’a beaucoup appris sur le monde politique de cette période. Dans  de telles conditions, la fonction de Premier Ministre est certainement la plus difficile à exercer, ce que Jacques Chirac a pleinement réussi. Cette première cohabitation au niveau le plus élevé a suscité beaucoup de commentaires évidemment, c’était une expérience, mais ceux qui l’ont vécue ont pu constater que le Président et le Premier Ministre ont su faire cause commune dans les moments les plus difficiles (attentats,otages).Jacques Chirac avait préparé un plan anti-terrorisme qui a été entièrement approuvé par François Mitterrand et appliqué rapidement. Là encore, l’intérêt général l’a emporté sur les querelles politiques…

La campagne présidentielle de 1993 - 1995

La droite emporte les élections – deuxième cohabitation – Edouard Balladur devient Premier Ministre. Claude Chirac rejoint notre équipe. Thème adopté par Jacques Chirac : la fracture sociale – déclinée dans près de soixante départements au cours de réunions, dans tous les milieux professionnels et couverte quotidiennement par la presse régionale, des directs chaque soir sur les stations FR3 régionales et dans les radios locales en priorité. Je donnerai en exemple l’annonce de la candidature de JacquesChirac le 4 novembre 1994 en exclusivité dans la « Voix du Nord ». En d’autres termes, la priorité donnée à la proximité. Une foule de plus en plus importante dans les réunions publiques, chaque soir trois ou quatre fois par semaine. En dépit des sondages défavorables, Jacques Chirac a gardé le moral et a maintenu ses contacts avec les Français, son principal atout. Confirmé par son élection à la Présidence en 1995.


Conclusion

Les conditions dans lesquelles j’ai exercé ce métier ont évolué. Chacun peut le constater chaque jour. « Si l’information a gagné en rapidité, ce n’est pas toujours en qualité ». Les sources d’information se sont multipliées, les moyens également ; désormais les amateurs peuvent délivrer de l’information comme les professionnels grâce aux réseaux sociaux et à internet : un nouveau pouvoir est né, les règles ont changé.

Je reprendrai ce commentaire d’Yvan Rioufol, relevé dans un édito cette semaine : « la règle primordiale pour la presse doit consister à ne s’intéresser qu’aux faits et aux réalités et à les relater avant de les commenter ». Qu’en est-il désormais ?

Nous constatons chaquejour que ce principe de base n’est plus respecté de manière générale. Conséquence : les professionnels ont moins de temps pour valider leurs sources, ce que faisaient remarquablement dans le passé des Agences de presse diffusant dans le monde entier telles que l’AFP, United Presse  I,Associated Presse et Reuter.

L’information est actuellement permanente avec les chaines d’info continue comme I-Télé etc… et les réseaux sociaux qui comptent de plus en plus d’adeptes. Chacun peut le vérifier dans sa propre famille. Cette évolution a d’ailleurs causé beaucoup de problèmes à la presse écrite régionale et nationale qui a tout de même bien résisté et a choisi de s’associer aux nouveaux moyens d’information , créant leur propre site et en réservant des pages spéciales aux usagers du web.

Pour conclure cette communication qui a peut-être été un peu longue, mais je dois le dire, qui m’a permis de revivre une période exceptionnelle de ma vie professionnelle, je ne serai pas pessimiste. Le métier d’attaché de presse a évolué, mais il faut s’adapter et je souhaite bon courage à ceux qui l’exercent aujourd’hui, parfois aussi dans des conditions difficiles…mais différentes ; je pense en particulier à ma fille Frédérique Gerbaud chargée de la communication au Conseil Constitutionnel, après cinq années à la présidence de l’Assemblée Nationale, déjà avec Jean-Louis Debré.

Je vous remerciede votre attention.

                                                                      Mme Lydie Gerbaud

 
Dernière modification : 31/05/2013
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