Colloque de Tours - 24 sept. 2011

IIIe RENCONTRE

DES ACADEMIES DE LA REGION CENTRE


TOURS 

24 septembre 2011


Actes du Colloque


"Les identités régionales en Région Centre"

125 pages - Editions La Simare

ISBN: 2-36536-002-9

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La IIIe rencontre des Académies de la Région Centre a eu lieu à Tours, le 24 septembre 2011. Chaleureusement accueillis dans la cité ligérienne par le Président et les membres de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine (qui célébrait son 250e anniversaire), Académiciens de la Région Centre et public ont pu partager ces moments forts, dans un esprit de convivialité et de sérénité en harmonie avec cette légendaire quiétude du Val de Loire.

            Fédérés autour d'un thème territorialement unificateur, sept Académiciens ont traité (dans le cadre de leurs communications suivies de débats) de sujets centrés sur les « Identités régionales en Région Centre » : identités structurantes et marqueurs historiques, démographiques, économiques, culturels (devenues par la richesse de leur champ thématique, le fil conducteur de ce colloque). Sont ainsi intervenus trois membres de l'Académie de Touraine ( le Président Jean-Mary Couderc, Daniel Schweitz et Jean-Bernard Sandler, abordant respectivement « La Loire, épine dorsale de la Région Centre », « La notion de l'identité de pays : l'exemple de la Touraine », « L'école de peinture de la Loire »), deux membres de l'Académie d'Orléans (Pierre Bonnaire et Géraldi Leroy, évoquant tour à tour, « Les forêts royales en Région Centre », « Péguy et l'Orléanais »), un membre de l'Académie du Centre :le Président Jean-Pierre Surrault qui présenta les résultats de ses recherches autour du sujet « Le sud du Berry, XVIe-XIXe siècles : une marche occitane ? ». L'Académie du Berry y était représentée par son Président Alain Bilot et par son Clavaire honoraire Isabelle Papieau qui développa, à travers une approche sociologique, le sujet « L'Art Déco dans le Cher »: un mouvement artistique ayant laissé des traces patrimoniales prégnantes dans ce département mais, reflet d'une esthétique émancipatrice commune et spatialement transversale (tant au niveau national, régional que départemental).

            Placée sous le signe de l'amitié inter-académique, cette belle journée de rencontres et de fructueux échanges a donné lieu à l'édition de l'ensemble des communications : publiés aux Editions La Simarre, les Actes de ce Colloque sont disponibles auprès de l'Académie de Touraine.

              ... ... ...             

            Communication d’ Isabelle PAPIEAU, Clavaire honoraire.

                                                 

                                          Académie du Berry

LE CHER ET L’ART DECO

             

              Moins popularisé que l’art médiéval, Renaissance ou classique, l’Art Déco a pourtant laissé dans notre pays, des empreintes de traces patrimoniales et notamment dans le département du Cher (territoire de notre étude) : plus particulièrement, à Bourges et Vierzon. Ces traces patrimoniales localisées sont, cependant, le miroir d'une esthétique émancipatrice commune et fédératrice (au niveau national, régional, départemental) : une dynamique créatrice compensatrice d'un phénomène de rupture (à l'image de la Sécession viennoise).


           

I. UN MOUVEMENT REACTIF A L'ART NOUVEAU


A l'intensification des détails de l’Art Nouveau qui privilégie les formes ondulantes s'inspirant des éléments de la Nature et dont la Première Guerre mondiale contribuera à accélérer la dégénérescence, l’Art Déco ‒ dont l’émergence est dans l'esprit du grand public, associée à la programmation de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes de Paris, de 1925 ‒ va, de 1920 à 1939, marquer à la fois, le champ de l’architecture et celui des arts plastiques. Elus décideurs, architectes « ordonnateurs de la cité », sculpteurs et artisans d’art du Cher ne seront pas indifférents à ce nouveau mouvement qui redessine  aussi bien, l'esthétique du design que les concepts architectoniques.


Si le Symbolisme a, en partie, inspiré la fantaisie décorative de l’Art Nouveau qui connut un vif succès (au point d'influencer l'ornementation des magasins, cafés-restaurants, bouches du métro parisien) et reste indissociable de grands noms (Gallé, Guimard…), l’Art Déco, couplé à la progression des techniques industrielles et l'idée de modernisme ambiant, s'appuie dans les années 1920, sur ce désir latent de recherche avant-gardiste du purisme et de l’ordre conquérant.

            L’Art Déco éclot dans un contexte singularisé par les stigmates mémoriels des blessures de la Première Guerre mondiale (déstructurant l'ordre établi) et qui positionne les arts plastiques aux antipodes de l'esthétique bourgeoise. Certains artistes ‒ vecteurs d'une conscientisation pacifiste, dictée par la dimension d'une charge émotionnelle et un discours de la désillusion ‒ occulteront alors, dans la période post-conflictuelle, le traitement de la laideur des mutilations physiques, paysagères, ayant ponctué ces années de guerre. Ils exploiteront pour ce faire, le traitement de matériaux réduits à des configurations ultra-élémentaires et allégées de tout artifice ornemental : un traitement ‒ dénégation des fragilités et traumatismes nés de cette Grande Guerre ‒ favorisant l'image d'un devenir lié au concept de modernité.



II. LE MARIAGE DE L'ART DECO ET DE LA MODERNITE


L'Art Déco se forgera dans un contexte synonyme de progrès, voire de performances techniques (avec la naissance du téléphone, l'admiration pour l'automobile) et prometteur de renouveau culturel : un renouveau cimenté sur les bases du Symbolisme et du Fauvisme, perméable à l'éclat des Ballets Russes et tonifié par les influences du Surréalisme, du Cubisme. Construit sur le socle d'un Cubisme (exploitant décomposition et recomposition pour tendre vers la simplification), l'Art Déco stimulera la libéralisation des valeurs culturelles citadines jouant avec les "avant-gardes".

            Le traitement cubiste de la plastique des objets que reflètent une composition unitaire et des formes limitées à des composants géométriques va donc séduire dans cette société mutante, certains architectes qui idéaliseront une esthétique dite "fonctionnaliste". Les ordonnancements des formes, la simplification du design, induisent la matérialité des configurations géométriques (symbolisant l'ordre) et la symétrie. La conscience urbanistique servira ainsi, l’évolution de cette société qui croit en l’esthétique fonctionnaliste parallèlement à l’apparition, en Allemagne, de l’architecture épurée du Bauhaus.

A partir de 1919, Le Corbusier qui élabore le mouvement puriste avec le peintre Ozenfant, encouragera le recours aux formes simplifiées ainsi que l’équilibre entre la technique artistique et les « procédés de la nature » ; « L’ingénieur, inspiré par la loi d’économie et conduit par le calcul », remarque Le Corbusier « nous met en accord avec les lois de l’univers ; l’architecture, par l’ordonnance des formes, réalise un ordre qui est une pure création de son esprit » 1.

L'Art Déco sera d'abord perçu comme un art relevant d'une culture élitiste car indissociable du phénomène de la "mode des apparences", des cadres au luxe raffiné (paquebots, stations balnéaires ou thermales). De telles ambiances seront mises en scène par une certaine richesse des matériaux et une corporation d'architectes, parfois concepteurs de mobilier et décorateurs de films, à l'image de Robert Mallet-Stevens : un professionnel bi-polaire estimé pour ses connaissances affinées des fonctions à la fois, esthétiques et structurantes de la lumière et des plans.

Mais, l'Art Déco s'est adapté aux attentes d'une cible élargie, guidé par les avant-gardes essentiellement allemandes (avec le Bauhaus) et provenant des Pays-Bas avec le mouvement de Stijl. Il est devenu le style préconisé pour les plans de reconstruction des villes dévastées par la Grande Guerre et a trouvé aisément sa place dans des communes gérées par des municipalités attentives aux progrès que soutenaient les réformateurs sociaux : des communes dont certaines allaient s'avérer l'antre des recherches futuristes émanant de leurs pôles de production. Tel est l'exemple de Vierzon, centre industriel et de la céramique qui, nantie (depuis 1887) d'une Ecole Nationale Professionnelle renommée, profite de l'engouement des « sortants d'école » pour ce nouveau courant : un enthousiasme enflammé qui sera pérennisé et que ces derniers matérialiseront, entre autres, dans l'embellissement de l'habitat des années 30 (notamment, les immeubles résidences des porcelainiers vierzonnais, véritables « vitrines » du savoir-faire de ces professionnels).



            III. DEUX VILLES DU CHER, VECTEURS DE L'ART DECO


            A 30 km de la cité porcelainière, une autre ville a été aussi sensible à cette nouvelle mouvance que fut l'Art Déco. Il s'agit de Bourges, animée d'un état d'esprit plus conservateur que Vierzon mais gérée à cette époque-là, par une municipalité soucieuse de pouvoir concrétiser les enjeux du concept dichotomique "art de vivre/modernité" : une ville jouissant alors, de l'accroissement de la production industrielle, de l'amélioration économique de l'entre-deux-guerres.

            Bourges et Vierzon vont donc s'enrichir d'immeubles pourvus des artifices décoratifs de ce mouvement : motifs d’inspiration orientaliste ou empruntés à l’Antiquité gréco-romaine, figures géométriques usitées en ferronnerie pouvant illustrer, entre autres, des spirales, des lignes ondulantes, zigzaguantes ou pyramidales, des chevrons… La référence à la valorisation de la rose ‒ emblème de la période dite « Florale » et stylisée sur le modèle de la rose épurée de Paul Iribe ‒ est très récurrente ;  cette fleur mythique est ainsi repérable en tant que motif de ferronnerie et de frises ornementant les façades des bâtiments résidentiels ou celles des grands magasins, notamment « Les Nouvelles Galeries » et les Etablissements Aubrun, à Bourges (conçus en 1929, par un architecte parisien ‒ Sylvère Laville ‒ qui s’est inspiré des créations de la capitale). L'exploitation de plaques de marbre pour habiller les murs de ces grands magasins est en phase avec les orientations de l’Art Déco qui prône également l’usage de la laque, de la dorure, des incrustations et de la polychromie.


            Ces deux villes exhibent donc l'une et l'autre, les signes physiques de cette tendance, qui va dorénavant, devenir l'objet d'un mouvement de démocratisation porté à la fois, par le passage de la création de l'objet de collection à la diffusion en série et par l'émergence de la notion de loisirs non élitistes (une notion développée chez les populations ouvrières qui ont vécu l'effritement des traditions populaires rurales au profit d'une culture urbaine et d'une consommation de loisirs de masse prometteuse de certitudes humanistes). En effet, avec l'ajout du mot "loisirs" au titre de "sous-secrétariat d'Etat" et l'intégration de Léo Lagrange dans son premier gouvernement (en juin 1936), Léon Blum fait émerger la notion d'un "temps libéré" synergique de détente. Les organisations socio-culturelles mises en place vont, dans cet esprit, dynamiser une éducation permettant d'avoir accès physiquement au bien-être et, moralement, aux bienfaits d'un épanouissement intellectuel.

            Vont alors, être conçus dans le Cher, deux jardins « Art Déco » (le square Lucien Beaufrère, à Vierzon et le jardin des Prés-Fichaux à Bourges), ainsi que des structures  consacrées aux loisirs : un auditorium dans la ville industrielle vierzonnaise et une salle des Fêtes dans la cité berruyère de Jacques Cœur.



A. Deux jardins nés de l'esprit « Art Déco »


1. Le jardin des Prés-Fichaux (Bourges) : la valorisation de l’avant-garde artistique


Imaginé par l’architecte paysagiste Paul Margueritat (à la demande d’Henri Laudier, sénateur-maire de Bourges, de 1919 à 1933), le jardin des Prés-Fichaux a été aménagé sur des terrains marécageux, achetés par le Conseil municipal berruyer en octobre 1920.

            Ce jardin public (dont la conception durera sept ans) sera finalement inauguré le 22 juin 1930, en présence de M. Paul Léon, membre de l’Institut, directeur général des Beaux-Arts. « Voyez partout la verdure se mêlant agréablement aux tons les plus chatoyants ; admirez cette délicieuse roseraie digne en tout point des jardins les plus réputés ; partout, de l’air, de la lumière, de l’hygiène et de la santé (…) », insistera Henri Laudier dans son discours d’inauguration2 : un constat proche de l'optique du discours du "plein air" qui  régénère l'organisme tout en modelant, depuis son insertion en tant que motif littéraire dans le roman naturaliste, les « habitus » et pratiques socio-culturelles. Il est misé sur l'exploration sensitive et sensorielle de cet espace paysager voulu serein et ressourçant pour purifier, vivifier, agir positivement sur le plan perceptif, et donc, rendre heureux le promeneur...

            D’une superficie de 4 ha, le jardin des Prés-Fichaux émaille ‒ depuis 1930 ‒ l’urbanisme de la cité, d’un écrin de verdure et de minéral rigoureusement ordonnancés.  Succédant à un premier avant-projet (de 1920) prévoyant un jardin à l'anglaise, l'aménagement définitif de ce jardin sera réalisé sur les critères d'un jardin à la française. Le choix du végétal s'est orienté vers des motifs de verdure sculptés, issus de l'art topiaire. Des arcades d'ifs quadrillent les espaces de circulation et les pelouses.

            Un théâtre de verdure monumentalisé (dont l'entrée était décorée de portiques et de sculptures de Centaures, œuvres de Monard) complète l'aménagement de ce jardin catégorisé comme l'un des plus beaux spécimens "Art Déco" d'Europe : d'une excellente acoustique dont la qualité est accrue par un rideau de hauts platanes, ce théâtre dit "de verdure" est configuré sur les bases du théâtre traditionnel (scène, parterre, jardin, loges), il peut accueillir près d'un millier de spectateurs. Une roseraie sophistique cette esthétique dont les lignes géométriques convergent vers un bassin que surplombe la statue du dieu Pan (grès de Sèvres offert, en 1929, par le Ministère des Beaux-Arts à la Ville de Bourges).

            Matières plus économiques, le grès et la faïence (qui vont être prisés pour les productions avant-gardistes de la manufacture de Sèvres, dorénavant conquise par les lignes novatrices que géométrise l’Art Déco) sont usités pour l'ornementation des Prés-Fichaux. Ce vaste jardin va, en effet, recevoir deux des grands vases en grès imaginés à l'origine par cette Manufacture pour être les emblèmes de ses recherches hardies : hautes de 7 mètres, ces œuvres de Pierre Patout ‒ éléments d'un ensemble qui ornait l'entrée des pavillons de Sèvres, lors de la célèbre Exposition des Arts Déco en 1925 ‒ seront ensuite données à la Ville de Bourges, à l’occasion de l’inauguration de ce jardin.

            La présence de l'eau y est importante et jalonne le circuit de promenade : fontaine initialement lumineuse rehaussée d’un portique, bassin de Pan, étroit canal parcourant la roseraie et bassin central agrémenté d'une sculpture rappelant le goût des motifs relevant de l’univers aquatique (nénuphar, poisson…) par ailleurs, inspirateur du verrier Lalique.

            Arches de verdure, massifs rectangulaires, tracés des allées surexploitant la ligne droite, épuration stylistique du design des grilles, lampadaires, rampes d’escaliers et garde-corps de la terrasse, restituent l’impact de cette géométrisation recommandée par Le Corbusier qui oppose au désordre de l’urbanisme sauvage, l’angle droit et la droite : deux éléments architecturaux, puisés aux sources du cubisme, et censés métamorphoser spirituellement, voire socialement, l’individu. « L'angle droit et la droite, attachés irrémédiablement à tout acte humain (…) attestent l'esprit atteignant aux confins de sa puissance, de sa grandeur, s'exprimant par l'angle droit, perfection évidente et preuve en même temps, système admirable et parfait, unique, constant, pur, susceptible de s'attacher à l'idée de plaire, victoire des tyrans, à l'idée de toute pureté, cellule des religions »3, note Le Corbusier.

            Ce jardin est inscrit depuis 1990, sur la liste supplémentaire des Monuments Historiques.



            2. Le square Lucien Beaufrère, à Vierzon : un « caravansérail » des nouveaux matériaux industriels


            Classé Monument historique depuis 1996, le square vierzonnais Lucien Beaufrère (aménagé sur les lieux des anciens jardins d'une Abbaye bénédictine) porte le nom du maire de Vierzon-ville dans les années 30, qui fut à l'origine de ce projet : un projet concrétisé par l’architecte sculpteur angevin Eugène-Henry Karcher (qui séjournera 8 ans à Vierzon, pour achever le chantier). L'élu Lucien Beaufrère souhaitait, en effet, faire aménager un parc, qui fût un lieu public réservé à « l’agrément du citoyen » et qui pût « embellir » Vierzon pour, confiait-il, « l’empêcher de mourir »4.

            De nouveaux matériaux (béton armé, ciment et céramique réalisée localement) s'y marient avec la ferronnerie pour donner du relief aux deux parterres végétaux et symétriques de ce jardin « Art Déco » (où l'eau tient également une grande place). La partie centrale occupe un espace organisé en une configuration semi-circulaire et un massif rectangulaire : un espace que théâtralise l'effet visuel d'un hémicycle doté de piliers ornés (comme les bassins)  de carrés de mosaïque provenant de l’entreprise Denbac, d’ifs et de buis taillés. Elément dominant de ce jardin, un monument aux morts ‒ voulu pacifiste et spectaculaire ‒ a été également pensé par le même architecte, afin de privilégier l'un des objectifs de Lucien Beaufrère : respecter une unité de vue.

            Bénéficiant de l'impact de l'éclairage électrique (équipement rare à l'époque) qui scénarise, voire dramatise l'atmosphère de l'environnement, ce monument est l'image même des allégories de la vie et de la mort. Inauguré le 11 novembre 1933, il se révèle être la parfaite combinaison d’un académisme sobre et d'un style figuratif expressif symboliquement spectaculaire. « Les hommes ont compris qu'ils touchaient au seuil de cette fraternité tant rêvée », explique alors, Eugène-Henry Karcher, en évoquant la symbolique sculptée des deux soldats athlétiques s'efforçant de refermer la lourde porte de la guerre et dont la posture suppose la volonté délibérée de se solidariser. Cette création « monumentaliste » de Karcher s'inspire d'autre part, de la signifiance esthétique des « Pleureuses » et du cliché laïcisé de la Mater Dolorosa, spatialement opposées aux représentations iconiques du Travail libérateur. La recherche plastique des bas-reliefs s'affiche résolument moderne, dans la mesure où le traitement des codes vestimentaires féminins est influencé par le style de la mode émergente, alors adaptée à l’immersion dans la vie active : robes sous le genou, cheveux courts, privilégiant respectivement l'aisance du mouvement et les signes d'un affranchissement physique…

           


            B. Des structures au service du divertissement


            L'impact de la politique du Front Populaire impulsera des orientations qui faciliteront  l'accessibilité aux loisirs, à des institutions culturelles (sources d'un enrichissement de la dimension intellectuelle) : autant de mesures pétrissant ainsi, à partir de 1936, une culture dite « populaire ».

            Ce contexte précis aura permis la construction en 1937, d'un auditorium (que complétera, par ailleurs, un lavoir) dans le périmètre du square Lucien Beaufrère. Conçu par le même architecte que celui du jardin, cet auditorium a pour vocation d'être un lieu festif, où sont programmés concerts et galas de danse. Béton et céramique sont en fait, les matériaux choisis pour le kiosque à musique du square Beaufrère, dont l'architecture joue avec l'équilibre des lignes et des volumes, le fondu des formes et des couleurs (conformément au discours du Bauhaus). La décoration repose sur l'harmonie d'une sélection de carreaux de céramique dont la palette chromatique aux tonalités vives (que remit à la mode, le Fauvisme) réchauffe les enduits monochromes.

            A Bourges et dans les mêmes temps (entre 1936 et 1938), une salle des Fêtes a été édifiée ‒ à l'initiative du maire de l'époque, Henri Laudier ‒ en béton armé et briques de Saint-Palais. La brique rouge (dont les qualités réactivent la mémoire des notions dix-neuviémistes de progrès industriel et de modernité) est devenue dans les années 30, une composante  de  l'esthétique architecturale. La régularité plastique de l'appareillage, la « texture » et le coloris de ce matériau qualifié « inerte » métamorphosent soudain ce dernier en un matériau vivant qui régénère l'architecture. L'utilisation du béton armé est quant à elle, le reflet de l'attractivité que suggère le concept du fonctionnalisme sur lequel s'est appuyée l'œuvre de Le Corbusier ,  surdimensionnant cette « esthétique du vrai » que promeut l'architecte Auguste Perret : « C'est par la splendeur du vrai que l'édifice atteint à la beauté »5.

            Comme Le Corbusier et A. Perret, l'architecte Henri Pinon (à qui fut confiée la conception de la salle des Fêtes berruyère) mettra en valeur les fonctions du béton et de la brique dont les tons contrastés vont rythmer de vastes façades que dominera l'angle magistral ; d'autres accessoires vont contribuer à fracturer la monotonie visuelle : décrochement de toitures, baies et balcons en saillie. Un dispositif identique est adopté par ce même architecte, pour la construction des deux bâtiments destinés à agrandir dans l'entre-deux-guerres, l'Hôtel-Dieu de Bourges (dont le bâti datait des XVIe, XVIIe et XIXe siècles) : une édification qui, pour lutter contre l'insalubrité estimée miasmatique de bâtiments anciens, donne priorité à la brique (en tant que matériau hygiénique) et à la lumière (les murs sont percés de grandes baies, d'occulus).  L'architecture, ici, prophylactique, s'avèrera liée à l'ordre social. En effet, selon la Déclaration de La Sarraz, les architectes ont constaté que les transformations de la structure sociale et de l'ordre économique ont engendré une transformation du mode architectural. « Les architectes » (peut-on lire dans la Charte d'Athènes) « sont réunis par l'intention de rechercher l'harmonisation des éléments en présence dans le monde moderne et de replacer l'architecture sur son plan véritable qui est d'ordre économique et sociologique et tout entier au service de la personne humaine »6. Fusion de l'Art Déco et du mouvement architectural moderne, les cités-jardins berruyères ont été édifiées en 1933, dans le contexte de la loi Loucheur (1928) et, sous l'impulsion du maire Henri Laudier, d'Henri Sellier (originaire de Bourges et qui dirigea l'Office départemental d'H.B.M. de la Seine). Structurées autour d'une vaste cour, ces cités-jardins multiplient les accroches visuelles inspirées de celles singularisant les H.B.M. parisiennes de la ceinture « des Maréchaux » (dont l'alternance des loggias et balcons en saillie). A l'image de ces H.B.M., elles combattent l'insalubrité en misant sur l'air, le végétal, la lumière que laissent pénétrer, entre autres, les porches monumentaux (pour un ensoleillement maximal et une plus grande ventilation des cours intérieures).



IV. LA TECHNIQUE AU SERVICE DE LA CREATION LOCALE « ART DECO »


            L’inventaire des signes tangibles de cette influence du mouvement Art Déco dans le Cher ne saurait être exhaustif sans l'évocation des créations relevant du champ de la recherche artistique. Industriel céramiste à Foëcy, Louis Lourioux (qui connut à Paris, l'artiste Dufrène) cultive un vif intérêt pour l'invention de formes et de pâtes imitant le grès. Fasciné par les innovations de Sèvres, Louis Lourioux sera à l'origine de la conception de vases, pichets ou bouteilles atypiques, d'œuvres originales puisant leur forme dans celles qui singularisent les éléments de la nature. Ayant promu l'Art Nouveau au niveau de leurs fabriques berrichonnes, d'autres artistes y propulseront les tendances de l'Art Déco : Edouard Sandoz, Odette Doumergue, Charles Lemanceau (qui sculptera d'ailleurs pour la tombe de Louis Lourioux ‒ au cimetière de Foëcy et dans le plus pur style Art Déco ‒  l'effigie d'une femme ange, à la posture de figure de proue).

            Deux entreprises vierzonnaises ont particulièrement marqué leurs productions, de l'esthétique Art Déco. Il s'agit de l'entreprise Denbac qui peaufina aussi bien le travail des formes que des émaux, personnalisant le grès des années 1930, de coulures et de motifs tant géométriques que floraux. La seconde entreprise spécialisée dans la majolique et la faïence fine, ne fut autre que la Manufacture Berlot-Mussier qui créa (de 1927 à 1940) la collection ODYV déclinée en une large gamme d'horloges ornées de figurines en ronde bosse ou de motifs empruntés au registre animalier.



            Développé essentiellement ‒ en ce qui concerne le Cher ‒  au niveau de Vierzon (ville usinière, antre de savoir-faire aboutissant à une industrialisation de l'Art) et de Bourges (ville à l'époque, de 50 000 habitants, gérée par une municipalité ouverte aux idées émancipatrices), l'Art Déco a satisfait le désir utopique de construire, d'aménager, selon des critères créatifs et d'optimisation humaniste des intérêts spirituels de l'être : une mutation que devait favoriser l'œuvre fonctionnaliste en parfaite osmose avec l'urbanisme actuel.



                                                                        Isabelle PAPIEAU





(1)    Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Editions Vincent et Fréal, 1958, p. 3.

(2)    La Dépêche du Berry, 23-24/6/1930.

(3)    Le Corbusier, L'Urbanisme, Paris, Arthaud, 1980.

(4)    Beaufrère L., Six années au service de Vierzon, Vierzon, Imprimerie P. Groslier, 1935.

(5)    Perret A., Contribution à une théorie de l'architecture, Cercle d'études architecturales, Paris, 1952.

(6)    Déclaration de La Sarraz in La Charte d'Athènes, Paris, Editions de Minuit, 1941, p. 119.




BIBLIOGRAPHIE


-BEAUFRERE L., Six années au service de Vierzon, Vierzon, Imprimerie P. Groslier, 1935.

-BAYER P. et WALLER M., René Lalique, Maxi-Livres, 2002.

-BERSTEIN S. et MILZA P., Histoire de la France au XXème siècle, Editions Complexe, 1995.

-BLOIT M., Deux siècles de porcelaine en Berry, Poitou et Bourbonnais, Paris, Le Temps apprivoisé, 1994.

-DELTOUR P., BON P., LETOURNEAU H., Le temps d’ODYV, 1927-1940, La Manufacture Berlot-Mussier, Monographie n° 1, Musée Charles VII – Pôle de la porcelaine.

-PAPIEAU I., L'Art Déco, une esthétique émancipatrice, Paris, L'Harmattan, 2009.

-VIGARELLO G., Histoire de la beauté, Paris, Seuil, 2002.

-« Le square Lucien Beaufrère » (plaquette conçue par la Ville de Vierzon).



Journaux/Revues


-Bulletin du Cercle Historique du Pays de Vierzon, Décembre 1993, n°3.

-La Dépêche du Berry, 15/2/1930.

-La Dépêche du Berry, 20/6/1930.

-La Dépêche du Berry, 21/6/1930.

-La Dépêche du Berry, 23-24/6/1930.

-La Dépêche du Berry, 29/6/1930.

-La Nouvelle République Dimanche, 29/6/2008.

-L’Express, n° 1728, 24/8/1984.


Sites Internet


- www.draccentre.gouv.fr

- www.maisonapart.com

- ww.isabelguerin.com

- www.insecula.com

 
Dernière modification : 31/01/2012
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