Discours de Philippe Magne

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Monsieur le Président, Cher Alain BILOT,

Chers Membres du Haut Conseil, Chancelier, Clavaire Secrétaire Général,

Cher Bernard et Yannick Jouve, sans qui je ne serais sans doute pas devant vous aujourd'hui,

 

Monsieur le Maire d'Aigurande, Madame le Maire émérite de Saint-Vitte, 

Chère Présidente émérite du Cercle Amical du Berry, 

 

Chers Amis,

 

Après la séance solennelle d'automne que vous teniez en octobre dernier à Châteauroux, voici que la Ville d'Argenton/Creuse "la Venise du Berry" nous accueille pour cette séance de Printemps en cette journée un peu particulière, qu'un heureux hasard du calendrier place au surlendemain des célébrations de l'Organisation des Nations Unies qui commémore désormais chaque 21 mars, la Journée Internationale des Forêts !

 

C'est pour moi natif de Saint-Amand Mont Rond qui bénéficie de la double identité du Berry et du Bourbonnais un honneur et surtout un plaisir à évoquer une déjà bien longue Histoire, celle de Tronçais "plus belle chênaie d'Europe".

 

Rouge de confusion devant les compliments d'introduction de votre Président, je vais essayer en introduction de ne pas faire mentir la célèbre Devise de l'Argentier de Charles VII, " A COEUR VAILLANT, RIEN D'IMPOSSIBLE".

 

Tronçais aujourd'hui forêt domaniale située tout entier dans le département de l'Allier par son étendue de 10.583 ha équivalente à celle de Paris intra-muros avec ses bois de grande qualité et sa parfaite homogénéité est connue de tous les professionnels de la filière bois bien au delà de la seule France.

Comme l'a fort justement suggéré mon illustre prédécesseur le philosophe Jacques CHEVALIER à l'origine avant-guerre de la Société des Amis de la Forêt de Tronçais, "Pénétrez sans crainte au sein de la forêt, car celui qui se contente de la traversez l'ignore. Elle ne se révèle jamais au voyageur pressé".

 

Je vais donc vous inviter Mesdames, Messieurs à me suivre cet après-midi dans une vraie immersion de Tronçais, pour y découvrir son héritage prestigieux et précieux.

 

Le voyage pourrait commencer avec les Bituriges Cubes qui comme chacun sait occupaient la Gaule centrale avec Avaricum (Bourges) comme capitale.

 

Une première interrogation permettrait (peut-être un peu rapidement ?) de songer à rapprocher le massif de Tronçais des marges de la forêt des Carnutes gallo-romaine ! Sans réponse précise, certains limiteraient les Carnutes au Beuvron, c'est à dire au Sud de la Loire en rives droite et gauche, au niveau d'Orléans.

Les Carnutes sont un peuple de la Gaule celtique vivant principalement sur le plateau de Beauce (ils ont donné leur nom à la ville de Chartres) et il paraît assez difficile au vu des connaissances actuelles d'y associer avec certitude Tronçais, même si l'on sait que presque toute la puissante cité des Bituriges en faisait alors partie.

Comme vous le savez la forêt des Carnutes reste très présente dans quelques célèbres albums d'Astérix et je crois savoir s'agissant d'une vraie recherche scientifique et historique que la question fait l'objet d'une étude en cours à paraître sous la plume érudite de l'Ingénieur Général du GREF Jean-Marie BALLU, le Président de l'Association Française des Eaux & Forêts (AFEF).

Je me garderai bien d'en dire plus, ce qui parait toutefois fort probable est que le Tronçais de l'époque gauloise dépassait son périmètre d'aujourd'hui, englobant la plupart des actuels massifs forestiers voisins.

 

Les poteries, terres cuites et autres fragments trouvés d'origine gallo-romaine prouvent une occupation humaine sans doute importante. A preuve cette Villa Jovis (Villa de Janus) ruinée dit on par les Goths et qui serait selon la légende enfouit sous l'onde des eaux de la célèbre Fontaine de Villejot au coeur du massif.

 

Les différents chantiers de fouilles menés durant ces vingt dernières années par l'archéologue Laure LAUT de l'Université Panthéon Sorbonne en lien avec la Direction des Affaires Culturelles Centre & Auvergne nous ont permis de nouvelles connaissances. La forêt de Tronçais par chance a en effet su protéger au fil des siècles des vestiges qui n'ont pas été trop perturbés par des activités humaines postérieures. C'est aujourd'hui une zone à fort potentiel archéologique qui révèle un véritable conservatoire des occupations anciennes qui petit à petit se révèle et qui va être conforté par toutes les récentes données permises par l'acquisition LIDAR (excusez cet acronyme), entendez Light Detection An Ranging, qui permet pour faire simple, d'enregistrer rapidement des relevés topographiques extrêmement précis de vastes zones par un système de balayage laser provenant d'instruments embarqués à bord d'un avion. Le survol du massif a eu lieu en mars 2016 suite à la confection d'un assez gros dossier initié par la SAFT et dont les résultats concernant l'archéologie et la sylviculture intéressent évidemment aussi l'ONF.

En partenariat avec le Centre Régional Auvergne de l'Information Géographique (CRAIG) et la DRAC, les premières analyses restituent des voies anciennes qui nous étaient jusqu'alors totalement inconnues, des chemins et des parcellaires oubliés, d'anciennes mares et surtout de nombreux ronds qui n'ont rien de lunaire, témoignant de la présence d'anciennes charbonnières !  

 

C'est tout un passé de sites antiques qui ressurgit et modifie parfois profondément les connaissances dont nous disposions jusqu'alors. A preuve les Petits Jardins à Isle-et-Bardais avec son sanctuaire du Haut-Empire, dont les ruines furent réinvestit au VIIème siècle par des artisans tuiliers. Le processus des découvertes n'en n'est qu'à ses débuts car certaines images sont actuellement en cours d'analyse.

 

Durant ces périodes lointaines on a sans doute surtout beaucoup de broussaille, des landes à bruyère, de vastes zones à ajoncs avec de la fougère et encore de la fougère ... Point de vraie forêt, un état sûrement très dégradé avec de la ronce qui pourrait être à l'origine du mot Tronçais ?

 

C'est peut-être vers cette époque dans cette terre sauvage ou l'on retrouve maints noms de lieux significatifs comme Lurçy-le-Sauvage où Saint-Bonnet-le-Désert, qu'aux environs de l'an 600, Saint-Chalan selon la tradition, disciple de Saint-Colomban de Luxeuil aurait irrigué de ses bienfaits la belle vallée de la Marmande, traversant Tronçais pour aller s'installer à Charenton-du-Cher. 

Le Musée du Berry à Bourges conserve un des plus rares témoignages de cette présence mérovingienne, en exposant le tombeau de Saint-Chalan.

 

En plus de cette implantation à Charenton, on peut noter l'existence éphémère de cellules monastiques dont celle de l'énigmatique Abbaye colombaniste d'Isle-sur-Marmande ?

Jonas de BOBBIO l'historien de la vie de Saint-Colomban nous apprend en effet que ses disciples s'installèrent aux abords de la forêt fondant peut-être près l'Isle-sur-Marmande (aujourd'hui Isle-et-Bardais) ce que certains historiens identifient parfois comme étant Saint-Amand, mais ceci n'est qu'une hypothèse ?

 

Nous reste de ces temps lointains une autre histoire dont un bâtiment est encore bien visible aujourd'hui ; ce petit prieuré bénédictin que certains d'entre vous connaissent sûrement, construit sur un éperon rocheux dans un endroit reculé, sans doute le plus sauvage de la forêt, Saint-Mayeul à La Bouteille commune du Brethon.

Peu de sites sont plus évocateurs que cette chapelle isolée loin de l'agitation et du bruit du monde où chaque premier dimanche du mois d'août, la SAFT fait dire à 18h une messe.

Elevé au XIIème siècle sur les fondations d'une chapelle primitive sans doute plus importante en beau grès rouge du pays, ce prieuré de La Bouteille a pris le nom du moine Mayeul deuxième Abbé de Cluny figure importante de la chrétienté.

La tradition orale relate que Saint-Mayeul  (encore appelé Saint-Mayol), lors du voyage qu'il entreprit aux confins de l'Auvergne et du Berry peu de temps avant sa mort, survenue à Souvigny le 11 mai 994, visita les ermites qui vivaient dit-on aux environs de La Bouteille, monta sur le clocher par le petit escalier qu'on peut encore y voir, sonna les cloches de l'édifice et aurait vu accourir près de 700 moines où oblats habitant les environs du prieuré et les ermitages épars dans les bois.

Ceci est comme vous pouvez l'imaginer "du Jacques CHEVALIER dans le texte" et tient sûrement beaucoup ... de la légende !

L'histoire est belle et tient un peu (excusez du mot) du "BORDEL", je veux ici parlez vous l'avez compris du fameux "Légendaire de Tronçais et sa région", écrit par l'Abbé Charles-Antoine-Marie BORDELLE qui fut Curé du Vilhain et dont je vais devoir écourter l'évocation pour revenir à l'objet principal celui de "la forêt au fil de l'homme".

 

Vers 910 donc, apparaît la seigneurie de Bourbon, berceau de la première Maison féodale de BOURBON, dont l'histoire nous est bien connue.

Les sires de BOURBON vont chercher à constituer un vaste domaine foncier dont les contours esquissés grâce à d'avantageuses alliances s'agrandit en devenant duché pairie en 1327 par octroi du Roi Charles IV.

Deux siècles durant les Bourbons resteront les plus fidèles serviteurs du Trône, devenant successivement Chambriers, Connétable de France et jusqu'à Régent ; Bourbon l'Archambault proche de Tronçais servant d'écrin. La grande époque reste celle du bon Duc Louis II et à sa mort de la Régente Anne de BEAUJEU tous les deux si bien représentés à Moulins.

 

J'ajouterai qu'aux environs de 1445, une autre figure connue du Berry Jacques COEUR, toujours en quête de nouvelles acquisitions foncières possède à Tronçais la Châtellenie de La Bruyère l'Aubépin proche de Cérilly, dont on voit encore les ruines du château. On sait par plusieurs courriers qu'il y rédigea qu'il aimait à y résider !

 

Las le temps passa, puis vint la fatale trahison du Connétable Charles III qui passa (comme on dit aujourd'hui) "avec armes et bagages" au service de l'Empereur CHARLES-QUINT, l'ennemi de toujours.

Bien mal lui en pris car en 1528, à l'issue de cette défection du Connétable, le Roi François 1er rattache les possessions du Duché de Bourbonnais à la Couronne de France y compris bien sûr son apanage de Tronçais.

 

Durant ces années là on dispose d'une bonne connaissance qui fait toujours référence aujourd'hui "des villes, bourgs, châteaux, fiefs et monastères du Bourbonnais" selon l'ouvrage paru en 1569 du géographe et valet de chambre du Roi Charles IX, Nicolas de NICOLAY. La Grande TRONCAYE y est parfaitement décrite !

 

Il est temps pour moi de vous livrer un petit secret (que bien sûr vous ne répéterez à personne !), celui du nom très probable du vrai "découvreur" de cette forêt que pourrait être Henri de LA TOUR d'AUVERGNE. Ceci n'est bien sûr qu'une hypothèse de travail que rien ne permet concrètement de vérifier. 

Le Vicomte de TURENNE, car c'est bien de lui dont il s'agit, a reçu à 32 ans le bâton de Maréchal de France en 1643. En 1658, il est nommé par le Roi, Gouverneur du Limousin et Ministre d'Etat. On sait que cet éminent chef militaire aimait à résider en Limousin, de là à songer qu'il a souvent du traverser Tronçais pour rejoindre Versailles, il n'y a qu'un bruit d'équipage qui me conduit à dire que c'est peut-être lui qui parla le premier de Tronçais à Jean-Baptiste COLBERT lors des réunions du Conseil du Roi ?

 

Rien ne prouve en effet que COLBERT dont le nom est si souvent associé à Tronçais, n'y soit en jamais venu. Certes son appétit à posséder des terres était grand. La présence de celui qu'on désignait Marquis de SEIGNELAY et de Châteauneuf-sur-Cher est très présent en Berry. On sait par exemple qu'il signa l'achat de la terre et du château de Linières-en-Berri à la veille de sa mort le 6 septembre 1683.

 

COLBERT "éminence grise du Royaume" à l'ascension fulgurante sur les décombres d'un certain FOUQUET avait notamment comme premier dessein de doter la France d'une puissante Marine. Le 16 février 1669 il devient Secrétaire d'Etat de la Maison du Roi et passe commande le 7 mars suivant de 276 navires de guerre triplant ainsi les capacités de commerce maritime du Royaume. Il a donc un besoin important de bois, d'où son grand intérêt pour les forêts.

 

Vu le mauvais état de Tronçais et les incessants coups de boutoir que pastoralisme et cultivateurs portent au parcellaire restant, le grand Ministre de Louis XIV juge qu'il est temps d'y mettre fin !

Son mérite est d'avoir diligenté une mission ayant comme objectif de faire délimiter clairement la forêt royale en y envoyant les Frères FLEURY arpenteurs à Orléans.

Ils réaliseront après Nicolas de NICOLAY la première carte dressée en 1665, conservée en plusieurs feuilles de grande dimension à la Bibliothèque Nationale de France, qu'on découvrira ébahit à l'occasion de l'exposition "COLBERT 1619-1683" organisée à l'Hôtel de la Monnaie de Paris du 4 octobre au 30 novembre 1983.

 

Cette carte montre que les limites actuelles de la forêt domaniale ont peu évolué depuis. Elle révèle de "grands trous" (excusez du mot) et l'absence d'étangs !

Sur le pourtour de Tronçais un fossé est créée pour ceinturer la forêt royale et environ 1000 bornes de délimitation (sans signe distinctif) sont également implantées pour mettre la forêt à l'abri de l'abus des riverains.

Bien plus tard on constatera que les descendants de ces riverains ont une fâcheuse tendance à toujours vouloir repousser et renverser ces bornes !

 

Avec cette forêt, COLBERT espère pouvoir ainsi plus tard faciliter la charpenterie de marine avec le carénage de ses bateaux, mais sûrement pas d'y trouver des mâts contrairement à une idée souvent reçue qui voudrait qu'ils proviennent de Tronçais. Cette "fausse nouvelle" comme on dit aujourd'hui est totalement erroné car en chêne lesdits mats n'auraient pas la flexibilité nécessaire et se briseraient. On pourrait davantage songer à une utilisation "plus royale" par exemple à usage des parquets de Versailles et à destination d'autres grandes demeures.

 

L'amusant est qu'à la fin des années 1970, Gabriel TANDEAU de MARSAC alors Ingénieur en Chef du Génie Rural des Eaux et Forêts en charge de Tronçais m'a raconté avoir adressé à son administration une missive indiquant que l'objectif maritime de COLBERT était atteint. A ma connaissance l'ONF ne lui aurait jamais accusé réception !

 

Revenons à la figure tutélaire de COLBERT qui engage alors sa grande "Réformation".

L'Ordonnance royale si célèbre de 1669 "sur le fait des Eaux & Forêts" constitue la première Loi forestière que reprendra le premier Code forestier de 1827.

Par Arrêté du Conseil royal du 13 décembre 1672, les droits de bois de chauffage sont supprimés, un règlement des coupes est donné et un objectif à long terme de production de hautes futaies est enfin défini.

Dès 1670 selon les instructions de COLBERT, le Chevalier Florimond HURAULT Seigneur de Saint-Denis Conseiller du Roi, Grand Maître enquêteur Général Réformateur des Eaux & Forêts qu'accompagnait Jean LE FERON aussi Conseiller du Roi procèdent à la visite générale de Tronçais.

La réformation des forêts du Roi a deux faces, l'une qui regarde le passé, l'autre l'avenir !

La dégradation était telle que le recépage (entendez une taille drastique consistant à couper court un arbre) y fut prescrit sur la majorité de la surface, accompagné de repiquage de glands et de travaux de plantation, en vue de la production de bois de marine, qui devaient être exploités à 200 ans sur l'ensemble du massif de Tronçais.

 

On a pratiqué en fait à des coupes de recépage sur 60 ans de 1672 à 1735. De 1736 à 1779 très peu de coupes furent réalisées sur la forêt. En 1779 toutefois les besoins en bois, du fait d'hivers plus rigoureux sont nécessaires en lien avec une population et des industries en augmentation.

Le 14 septembre 1779, un Arrêt du Conseil du Roi donne comme objectif 2/3 de la forêt en bois de chauffage avec un âge d'exploitabilité pour la coupe à 50 ans et 1/3 est mis en réserve en vue de produire des hautes futaies, c'est l'origine de notre Réserve dite plus tard de COLBERT.

La disponibilité en bois de chauffage aiguise probablement alors la curiosité d'un "industriel" natif de Givonne dans les Ardennes, Nicolas RAMBOURG. Sa trajectoire sociale et professionnelle est impressionnante. D'abord apprenti fendeur à Berchiwé, il devient Directeur de la Manufacture d'armes de Charleville puis de la fonderie de canons d'Indret sur la Loire. Il trace sa route, comme un technicien nomade.          

 

"C'est le début de la fin pour Tronçais".

 

Maître de Forges, il comprend vite qu'avec la présence sur place de minerai de fer de bonne qualité, il peut développer une industrieuse activité. Ses prospections sont nombreuses et vont bien au delà de Tronçais, il s'est même rendu acquéreur de terre à cette fin dans le pourtour routier actuel de l'Abbaye cistercienne de Noirlac ... qu'heureusement il jugea finalement de moindre intérêt économique !

Le 16 février 1788 un Arrêt du Conseil royal lui concède pour 30 ans une grande partie de la forêt, qu'il va contribuer grandement à ruiner.

 

On doit alors imaginer l'arrivée et l'installation progressive de plusieurs centaine de travailleurs pour créer les conditions minimales de logement et d'approvisionnement en subsistances. C'est un monde nouveau qui arrive à Tronçais durant l'année 1789 qui annonce comme on sait et pour d'autres raisons une vraie Révolution !

 

J'ai publié l'an passé dans le Bulletin de la SAFT un extrait du Cahier de Doléance du Tiers-Etats de la petite commune de Braize que j'avais curieusement récupéré dans une vacation de vieilles archives à la Salle des Ventes de Bourges. Rien de très neuf par rapport aux revendications de nos "tristes gilets jaunes" d'aujourd'hui : l'impôt est déjà bien trop lourd à supporter pour une seule classe et doit être mieux répartie et aussi je cite, "si les Forges ont lieu, tous les voisins de la forêt seront ruinés. Laissez d'abord exploiter la terre à nos laboureurs"!

En 1803 RAMBOURG s'emploie à obtenir une seconde concession de 65 ha en échange de laquelle il s'engage à réensemencer 70 ha de terrains, j'ajoute d'origine agricole. Ce sera l'origine de notre nouvelle Futaie de BUFFEVENT où par commodité pour les visiteurs d'aujourd'hui, dite "COLBERT II".

 

Point positif pour le massif l'énergie hydraulique indispensable à l'origine des Forges oblige RAMBOURG à créer des étangs. Le seul existant Saint-Bonnet (45 ha) étant plus ou moins naturel, il créa sur un terrain marécageux dans le lit de la rivière Sologne, l'étang de Tronçais (18 ha), puis celui de Saloup (13 ha) dont les travaux durèrent de 1803 à 1817 et enfin Morat (12 ha) en 1822.

 

C'est durant cette période que des progrès décisifs vont être réalisés pour l'implantation en France de forges à l'anglaise utilisant le coke dans le haut fourneau et la houille dans les travaux de forge. La situation de Tronçais devient plus aléatoire car mal desservie et de plus en plus éloignées des minières.

 

Exit, les cortèges de mulets tirant de petits chariots, on allait devoir passer à d'autres activités !

 

Le projet industriel conçu par Nicolas RAMBOURG qui décède en 1827 lui survivra via son fils Paul futur Maire de Commentry, puis de Néris qui épousera la carrière politique en devenant Conseiller général et Député de l'Allier jusqu'en 1863.

Tronçais reste à l'origine de la métallurgie du bassin de Châtillon-Commentry et à la base de l'activité de l'industrie montluçonnaise.

 

En France les évolutions (je devrais dire les Révolutions) modifient complètement le contexte et les mentalités.

 

Après le siècle des lumières, vient une nouvelle ère en matière de connaissances sylvicoles. 1824 et 1827 marquent la création de l'Ecole forestière à Nançy. Plus de charges nobiliaires de Maîtres des Eaux & Forêts, mais des fonctions qu'on dénommera bientôt "Conservations".

 

Pour nous en Berry-Bourbonnais, la vingtième à Bourges et vingt et unième à Moulins qui voit nommé à Tronçais en 1831, Joseph-Louis-Marie-Théophile de BUFFEVENT. 

Le personnage est un peu austère, il ne fréquente guère les allées du pouvoir et ne restera en fonction que durant cinq années dans l'Allier. Pour autant, nous en sommes aujourd'hui encore les héritiers car il reste "l'inventeur de Tronçais".

 

En 1835, l'aménagement en futaie pleine à l'âge de 160 ans sera porté à 180 ans en 1869, puis à 225 ans en 1928.

Dès 1832 il rédige le document d'aménagement où il écrit : " la forge de Tronçais a décliné une grande partie d'arbres qui aurait du être conservés. Dans une forêt aussi cruellement estropiée, les moyens ordinaires ne suffisent plus pour atteindre le but". La forêt qu'il trouve est véritablement "saignée à blanc". Il est toutefois et fort heureusement soutenu dans son plan de gestion complètement novateur pour l'époque par Bernard LORENTZ le premier Directeur de l'Ecole de Nançy.

 

La métamorphose est complète, des routes sont ouvertes à travers les vastes massifs, faisant notamment reculer le loup encore très présent alors à Tronçais !

 

Qu'il me soit ici permis de rendre hommage à quelques uns de ses brillants successeurs, DESJOBERT en 1880 dont la famille est bien connue ici dans l'Indre, RAFFIGNON en 1895 qui avait aussi des frères forestiers, BUFFAULT, de MIERRY, CARMANTRAND de LA ROUSSILLE et plus près de nous en 1930, DUBOIS de LA SABLONNIERE. Tous sont passés à la postérité en laissant leur nom à des Ronds (carrefours) de la chênaie de Tronçais où de la hêtraie voisine des Colettes.      

 

Les objectifs de BUFFEVENT seront poursuivis avec un allongement de l'âge d'exploitation soit 250 ans en 1976 et enfin 300 ans pour une partie de la forêt en 2001.

 

Contrairement aux fausses rumeurs propagées, il n'y a jamais eu autant de vieux bois et de classes d'âge aussi bien réparties en forêt et j'ajouterai : "Non, les chinois ne sont pas les propriétaires d'aujourd'hui". !

 

Quant au site des Forges, il va connaître d'autres aventures, avec la production de boulets pour l'artillerie et de pointes de fer à usage de l'habitation. 1870 voit s'installer dans les bâtiments une tréfilerie qui fabrique les fils et câbles métalliques qu'on utilisera pour la construction de la Tour EIFFEL.

 

Au XIXème siècle, l'administration des Ponts et Chaussée créera de 1842 à 1852 la plus grande nappe d'eau existante à Tronçais sur les terres agricoles expropriées de la famille DUMAS-PRIMBAULT, afin d'y aménager l'étang de Pirot (74 ha), sur le lit de la Marmande qui servira de réservoir et permettra la régulation de l'eau au Canal de Berry.

 

La production de la tréfilerie connaîtra par la suite un développement important en livrant à l'armée les fils de fer barbelés de nos tranchées de 14/18.

 

L'usine "au coeur de la forêt" s'arrêtera définitivement "pour mémoire" de produire en 1934.

 

Un autre épisode de vie reste à décrire, celui à l'initiative du Général de Division Georges CHEVALIER (père du philosophe) qui fut Directeur du Génie au Ministère de la Guerre de 1910 à 1917. (il n'existait pas alors ni de quatre, ni même de cinq étoiles, juste une dignité, celle de Maréchal de France !).

 

A l'occasion du Centenaire de la Grande Guerre, en partenariat avec plusieurs associations à l'initiative de "Mémoire de Cérilly et ses environs" et du CAMSA, la SAFT a participé à l'organisation d'une belle exposition sous le patronage de la Mairie de Cérilly, sur "les cantonnements forestiers militaires" constitués à partir de 1915, en forêt de Tronçais et Civreis. C'est environ 500 hommes du Génie, voire des Territoriaux encadrant des prisonniers allemands et polonais qui travaillèrent à produire du bois de mine.

Le Général CHEVALIER en fut l'instigateur, écrivant après-guerre un ouvrage paru en 1927 sur "Les Bois d'oeuvre pendant la Guerre", que j'ai eu la chance de retrouver un exemplaire il y a quelques années Outre-Rhin, dans les collections déclassifiées du Ministère des Affaires étrangères du Reich, dûment estampillé "Confidentiel Défense" !

En 1919 le Général PERSHING en personne décorera CHEVALIER au nom du Président des Etats-Unis de la plus haute distinction américaine : la Army Distinguished Service Medal.

A cette époque c'est un contingent de 320 sammies (entendez soldats US) semblable à ceux du 3ème Centre d'instruction de l'aviation des Etats-Unis qui séjourna à Issoudun entre 1917 et 1919, transformant les arbres de Tronçais en bois de guerre.

 

Leur départ c'est un impressionnant stock de matériel qui sera laissé sur place pour le plus grand bonheur (et la fortune !) de certains agriculteurs des environs de Couleuvre, aux abords de Tronçais.

 

Avec la Seconde Guerre mondiale, c'est l'installation à Tronçais du Groupement n° 1 des Chantiers de la Jeunesse de France, baptisé "Maréchal PETAIN", soit la présence aux environs de Saint-Bonnet de près de 2.500 hommes placés sous le commandement du Colonel FURIOUX. 

Les jeunes y produiront du charbon de bois avec un épisode resté célèbre, celui du Baptême du Chêne Philippe PETAIN le 8 novembre 1940 en présence du Général de LA PORTE du THEIL "patron des Chantiers", lui même fils d'un Officier des Eaux & Forêts.

Ce jour là, le Maréchal en compagnie de son Secrétaire Général de l'Instruction Publique Jacques CHEZVALIER et de son Ministre de l'Agriculture, le berrichon Pierre CAZIOT, allait baptiser un chêne de son nom. Ce chêne, issu d'un gland semé vers 1670, à l'époque vieux de 276 ans, mesurant 42 mètres de haut et 28 mètres du fût jusqu'à la première branche, "au canton de Morat, parcelle sept de la quarantième série, a été frappé par le marteau du Maréchal" dit le procès-verbal.

Le 23 février 43, trois Résistants par une nuit noire et froide vinrent lui octroyer un autre nom, avant que l'arbre ne subisse la mitraille en 1944.

Ce chêne historique dont l'écorce a pu cicatriser ses blessures est toujours là de nos jours. Il a changé de nom en 1982 pour devenir Chêne de la Résistance !

 

Poursuivons notre saga avec l'arrivée dans l'immédiate après-guerre d'un ingénieux italien "parti de rien" Conrad VALERI industriel parisien qui va développer la production de planches et de placages dans les anciens bâtiments des Forges, pour l'ébénisterie des premiers postes de TSF et plus tard de télévision.

 

En 1968, tel Robert BUSSIERE légendaire patron de la première imprimerie de France à Saint-Amand Mont Rond, VALERI  emploie jusqu'à 720 personnes, construisant sur le site une piste d'aviation pour recevoir ses clients. Elle existe toujours. 

L'essor des matières plastiques précipite brutalement l'entreprise vers le dépôt de bilan en 1982.

 

C'est alors qu'arrive la Société CABASSE qui fabrique des enceintes électro-acoustique et emploie encore 70 salariés ! La marque CABASSE deviendra un temps japonaise, mais l'activité industrielle de Tronçais disparaîtra complètement au début des années 2000.

Le site désespérément vidé de toute occupation humaine est pour partie racheté aujourd'hui par la Communauté de Communes du Pays de Tronçais. Il cherche un nouveau souffle : Avis à ceux d'entre vous qui seraient porteur de Projets !

 

Le 17 mai 2018, Tronçais devenait la huitième forêt française, après Fontainebleau, le Val Suzon, Rouen, La Montagne de Reims, La Grande Chartreuse, Verdun et Bercé "sa petite soeur" à recevoir le Label "TRONCAIS FORET D'EXCEPTION" qui se déclinera pour nous, en "TRONCAIS CHENAIE D'EXCEPTION" tel qu'on peut désormais le lire aux entrées de la forêt.

C'est une nouvelle gouvernance pour l'ONF "démarrée avec modération, mais engagée dans la durée".

 

Voila me direz-vous la fin de l'histoire ! Pas du tout car elle ne fait peut-être que commencer ?

 

Selon la judicieuse expression du Professeur Paul ARNOULD Président du Comité National d'Orientation en charge de donner son feu vert à l'ONF pour l'attribution du label "Forêt d'exception", Tronçais est bien la forêt historique aux "3M", à savoir : Marine, Métallurgie et Merrain, comme on va le voir.

 

Car ce patrimoine forestier exceptionnel hérité du passé donne au bois de chêne de Tronçais son incomparable et si recherché "grain fin" qui a poussé lentement et régulièrement.

Pas sûr qu'avec le réchauffement climatique notre "Pilier" qui serait le plus haut d'Auvergne avec ses 47 mètres présente les mêmes caractéristiques aux générations futures ? Ce "Pilier" celui de la futaie-cathédrale n'a pourtant qu'aux environs de 187 ans !

 

Le Chêne de Tronçais est devenu le plus recherché au monde pour fabriquer des tonneaux destinés aux meilleurs vins et spiritueux, à destination principale de la Bourgogne et du Bordelais.

 

Songez pour ne citer que quelques chiffres que la dernière vente d'automne des bois a cumulé l'an passé plus de 13 millions d'euros. Du jamais vu pour une offre de 57.700 m3 de chêne, dont 55.800 de forêt domaniale. Le lot le plus cher qui venait de Tronçais s'est vendu à 965 euros le mètre cube, faisant flamber les calculettes. Le plus gros acheteur étant (sans publicité) la Société Chêne Bois installée à Cérilly.

 

Troncais avec une essence majeure le chêne sessile qui résiste surement mieux que le pédonculé au déficit hydrique, c'est aussi : 5 étangs, 60 ronds, 350 ans d'âge pour les Arbres remarquables selon le livre édité par la SAFT (toujours sans publicité, pour ceux qui seraient intéressés j'ai encore ici quelques ouvrages à vendre), 60 km de sentiers pédestres, 1150 ha en site Natura 2000, 50.000 m3 de bois récoltés, 2 réserves biologiques, 80 fontaines, 5000 m3 / an de chêne récolté en qualité merrain, 90 espèces d'oiseaux, 22 espèces de chauve-souris connues, 100 sites archéologiques répertoriés, 2 futaies remarquables COLBERT environ 73 ha avec ses peuplements classés en Réserve Biologique Dirigée (RBD) c'est à dire qu'il n'y est plus pratiquée de sylviculture, que l'on ne visite plus "qu'à ses risques et périls" et COLBERT 2 (de BUFFEVENT) qui va pouvoir accueillir les visiteurs, 284 espèces d'insectes connus, 2 sites aménagés disposant de grands abris, la Cave et Thiolais et un dernier chiffre les 19 m3 du Chêne de Morat vendu en 2005 au prix de 37.790 euros !

 

Avant de finir mon exposé, un mot d'histoire sur le Chêne STEBBING II, au fier houppier qui avoisine 380 ans. Il a remplacé un premier Chêne STEBBING tombé en 1951, non loin du mythique "APOLLON" le "Roi de la forêt" abattu en 1954. Son nom fut donné en souvenir de l'ancien Directeur STEBBING de la prestigieuse école forestière d'Edimbourg, qui séjournait chaque année à Tronçais avec ses élèves.

 

Pour suggérer les éventuelles questions à venir, je ne ferai que citer ici les silhouettes de nos célèbres veneurs d'autrefois indissociables de la grande histoire de Tronçais, qu'il s'agisse du mythique Marquis de BEAUCAIRE au XIXème siècle et après-guerre du légendaire Comte Annet de LA CELLE du Rallie Rallye à la Pucelle qui consacrèrent leur vie et aussi leur fortune à courir le cerf à Tronçais !   

 

Ayant sûrement été bien trop long, veuillez m'en excusez, voici venue l'heure de conclure.

 

A vous les Académiciens du Berry, je voudrais le faire en rappelant un parfum d'académisme !

En évoquant tout d'abord la mémoire de celui qui fut Président d'Honneur de la SAFT, Emile MALE de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, de l'Académie Française, qui sa vie durant fut un fervent admirateur de Tronçais.

Enfin selon le titre d'un article que j'ai publié dans notre 37ème Bulletin (il y a bientôt 27 ans !) en juillet 1992 et que j'avais intitulé "TRONCAIS ENTRE A L'ACADEMIE", à propos de la remise de son épée d'académicien par mon ami Henri AMOUROUX à un autre "immortel", Jean CLUZEL dans les salons de Boffrand du Sénat le 17 juin 1991.

L'épée réalisée par le célèbre GOUDJI sculptée dans l'argent comporte une garde avec des ailes incrustées de lapis-lazuli du cerf ailé, symbole du Bourbonnais et proclame "d'espérance demeurent mes ailes". Gravée en bas de la garde figure la devise "ALLEN" donnée au Bourbonnais par le Duc Louis II de BOURBON.

A l'extrémité du fourreau figure une feuille de chêne, symbolisant la Forêt de Tronçais et sur la lame est inscrit la Devise "ESPERANCE".

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Philippe MAGNE

                                                                                                                                                                                                                                                                                       Président de la Société des Amis de la Forêt de Tronçais (SAFT)

 

 
Dernière modification : 12/08/2019
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