Quelques observations concernant les rapports de la sculpture romane du Berry avec celle du sud-est de la France
Au cours de recherches relatives à la sculpture romane des régions rhodaniennes, j'ai été amené à faire quelques observations au sujet de ses rapport avec celle du Berry.
Deux articles (Imitations et transformations de la collerette berrichonne dans la sculpture romane du sud-est de la France, dans Archéologie du Midi médiéval, XIV, 1996, p. 186-189 ; Les chapiteaux romans de l'église de Pranles, dans la Revue du Vivarais, CVI, n°3, juillet-septembre 2002, p. 129-164) m'ont permis de signaler des imitations ou des dérivés d'un motif très caractéristique des chapiteaux romans du Berry, la collerette berrichonne, faite, comme on le sait, de feuilles tour à tour petites et grandes, retombant alternativement, à mi-hauteur de la corbeille, devant et derrière une baguette horizontale.
Le motif est reproduit, assez fidèlement pour qu'il soit reconnaissable, sur de rares chapiteaux, isolés dans des constructions telles que le cloître de la cathédrale du Puy, le chevet de Saint-Julien de Brioude (Haute-Loire) et l'église Notre-Dame de Pranles (Ardèche). Dans cette dernière, il est employé concurremment avec des têtes ornant non seulement les angles du chapiteau, mais aussi l'emplacement du fleuron de l'abaque, disposition à partir de laquelle s'organise la composition de beaucoup de chapiteaux romans du Berry.
Au contraire, l'église de Saint-Paul-de-Varax (Ain), où coexistent des éléments d'origines diverses (à la façade, une frise sculptée attribuée à un atelier du Brionnais est placée, à la manière de ce que montrent certaines églises de l'ouest de la France, entre des chapiteaux, de style rhodanien, tandis qu'à l'intérieur de l'édifice la nef communique avec le transept par des "passages berrichons"), il ne reste plus de la collerette berrichonne, sur les tailloirs de deux des chapiteaux de la façade, que des éléments dissociés et fortement schématisés, un peu comparables à ceux que l'on trouve à l'église de Bourbon-l'Archambault (Allier).
Plus loin encore du Berry, au prieuré de Saint-André-de-Rosans (Hautes-Alpes) (fig. 1), c'est une référence "modernisée" qui est faite à la collerette berrichonne sur une imposte sculptée où des feuilles de vigne, plus réalistes que celles des modèles, retombent sur un seul côté d'un cordage qui remplace la baguette de ces derniers, le pédoncule de chaque feuille passant cependant devant ou derrière celui-ci, pour rappeler l'alternance constatée sur les chapiteaux du Berry.
Fig. 1
J'ai eu ensuite à m'intéresser, dans une communication présentée en octobre 2004, au quatorzième colloque international d'Issoire (Puy-de-Dôme), consacré à l'ornement roman (Le motif "en flabellum". Origine, typologie, évolution et répartition d'un ornement sculpté roman, à paraître dans les actes de ce colloque dans la Revue d'Auvergne), à l'un des chapiteaux de l'église Saint-Genès de Châteaumeillant (Cher), le seul, dans cet édifice, à avoir un contenu iconographique (fig. 2) .
Fig. 2
On y voit, en effet, le motif qui était l'objet de mon exposé (un groupe de feuilles porté par un manche, ce qui est inhabituel, car, dans le décor des chapiteaux antiques ou romans, les feuilles sont généralement dépourvues du pédoncule dont elles sont dotées dans la nature), porté à des dimensions inusitées, à la fois pour scander les scènes et pour constituer un élément du paysage dans lequel se situent les personnages. La présence insolite, à Châteaumeillant, d'un motif qui est surtout répandu dans les régions rhodaniennes, s'explique lorsque l'on constate que, parmi les scènes représentées sur le chapiteau, se trouve une représentation du Meurtre d'Abel qui semble calquée sur celle que montre l'un des deux chapiteaux iconographiques de l'ancienne église abbatiale de Saint-Martin d'Ainay, à Lyon, (fig. 3), édifice où se voit d'ailleurs le modèle possible du rinceau qui orne le tailloir du chapiteau berrichon.
Fig. 3
Enfin, dans une communication présentée au colloque sur l'abbaye d'Ainay en janvier 2007 (Remarques sur les sculptures iconographiques de l'abside à Saint-Martin d'Ainay. Sources d'inspiration et traits originaux, dans L'Abbaye d'Ainay des origines au XIIe siècle, Lyon, Amis de Saint-Martin d'Ainay/Presses universitaires de Lyon, 2008, p. 111-131), j'ai précisé ce rapprochement, en soulignant l'originalité de la représentation lyonnaise, qui témoigne d'une réflexion très approfondie sur la façon de montrer la scène en question. Son imitation à Châteaumeillant témoigne de l'intérêt qu'elle a suscité à son époque.
Victor LASSALLE
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